28 février 2020

Brise ton silence

Elle est vivante mais morte.

Elle est présente mais absente.

À l’âge de la puberté, à ses premières règles, sa mère lui fait savoir que désormais, si un homme la touche, elle tombera enceinte. Alors, elle va commencer à s’éloigner des hommes. C’est comme cela qu’on recommande à une fille de s’abstenir.

A l’école, on lui enseignera comment se protéger et comment calculer son cycle menstruel pour éviter les grossesses.  Encore des mesures à prendre, elle doit faire attention.

A l’âge de la maturité, on lui dicte comment gérer sa vie : comment une femme doit s’habiller, comment elle doit s’asseoir, comment elle doit rire, comment elle doit traiter son homme, être soumise à ce dernier et lui obéir. Elle n’a pas la parole quand un homme est là. Sa tâche à elle, c’est l’exécution.

Dans certaines familles, on ne cessera jamais de le répéter, elle n’a pas son mot à dire même quand il s’agit des choses qui la concerne.

Tellement de choses à supporter, tellement d’épreuves à surmonter avec ou sans aide. Une des choses auxquelles elle doit faire face aujourd’hui, est de se méfier des hommes qui l’entourent et qui entourent sa progéniture. Elle a pu et su gérer toutes les épreuves la concernant en qualité de jeune fille, mais elle doit aussi gérer des épreuves dans sa fonction de mère.

Brise ton silence

Je voudrais me pencher sur ces pervers que nous rencontrons sur notre chemin, dans notre vie. Depuis l’année dernière dans mon pays, en Côte d’Ivoire, on assiste à une vague de viol sur enfant, et d’enlèvement d’enfants et il se trouve après enquête que l’accusé est presque toujours un proche de la famille.

Vous savez, il y a toujours, dans la famille, ce cousin ou ce tonton que tout le monde aime pour sa spiritualité, son ouverture d’esprit et surtout son courage, mais personne ne peut imaginer le type de personne qu’il est réellement, le sale porc qu’il est…

Il est tellement sympa et généreux, qu’on ne peut penser que ce minable qui vit sous votre toit, s’éclipse chaque nuit pour se rendre dans la chambre de votre fille de maison ou de votre petite fille. Il va tenter de la toucher. Si elle se réveille et le voit, il va soit s’excuser soit insister. S’il n’a pas un bon retour, il va retourner dans sa chambre tout en espérant réessayer encore et encore jusqu’à avoir gain de cause. À la servante, il va demander de ne rien dire et, même s’il ne demande pas, elle ne va pas en parler. Car, dites-moi, qui va croire à l’accusation d’une inconnue face à un parent, un frère, qui est le type parfait et correct de la maison ? Elle va se taire jusqu’à ce que le pire arrive, un abus, un viol, une grossesse, ou alors elle s’en ira de la maison sans motif.

Le pervers prend toujours soin de son entourage. Si vous osez l’affronter, vous serez vue comme une peste. Il faut être rusée et s’armer de beaucoup de courage car vous risquez d’entendre des atrocités incroyables venant de personnes qui vous aiment (ou pas). Vous serez sûrement accusée, on dira : c’est de sa faute à elle, c’est impossible qu’il fasse cela ! Il n’est pas capable de telle bassesse voyons, on le connaît. Pourquoi elle ? Qu’est-ce qu’elle lui a montré ? Il ne va pas aller vers elle sans son accord ! Elle lui a certainement donné une occasion, une envie. C’est elle est la fautive. Et c’est ainsi que la victime devient l’accusée et l’accusé, la victime.

Décider d’attaquer son agresseur, son violeur ou un autre persécuteur, cela demande beaucoup de courage et de soutien.

On te condamnera et tes détracteurs seront des femmes, et oui malheureusement ! Les femmes entre elles ne sont pas jolies. Winnie Mandela disait : « les hommes dominent les femmes par l’intermédiaire des femmes elles-mêmes » et enfin la société te condamnera.

 N’attends pas, brise ton silence

Je parle de faits réels, j’ai vécu assez de persécutions dans mon adolescence. Je me souviens comment j’ai réussi à dévoiler les agissements de mon cousin qui depuis longtemps me persécutait. Traqué par cet imbécile depuis mon plus jeune âge, j’ai appris à le détester et j’ai cessé de lui accorder mon respect. Vu qu’il était mon aîné, bien évidemment je recevais de bonnes corrections : des gifles de sa part et des remontrances de la part de maman. Pour moi, le respect, il ne le méritait pas vu que par moment il essayait tard dans la nuit de s’approcher de moi. On dormait tous dans la même chambre jusqu’à ce que ma tante fasse la remarque qu’ à un certain âge il faut séparer les garçons des filles. Depuis lors, il se déplaçait de sa chambre à la nôtre. J’ai longtemps observé, j’ai longtemps analysé les choses et j’ai conclu qu’il fallait que je prenne garde à moi. Je surveillais donc mes arrières. Moi, une fille épanouie, extravertie, j’ai commencé à aimer rester seule dans mon coin, à écrire. Il me demandait toujours pourquoi j’étais affective avec les autres (nos amis) et pas avec lui. J’étais choquée quand il me demandais ça. Un jour j’ai ressenti une grande peur car nous étions que deux à la maison. Je m’étais permise de dormir dans la chambre de mes parents, qui étaient absents. Il a pénétré dans la pièce dans le noir et a essayé de me toucher. Sentant une main sur moi, je me suis levée en sursaut et j’ai allumé la lumière ; il était là debout torse nu avec un short. Je l’ai fixé, très énervée, et je lui ai dit de sortir de la chambre. Sans mot il a quitté la chambre. Mais je n’ai pas pu fermer les yeux de toute la nuit. Ce fut sa dernière tentative. Au petit matin, après 6 années de peur, j’ai décidé d’ouvrir ma bouche, de briser mon silence et de ne plus cacher ces atrocités. J’ai informé mon aînée, elle était choquée d’apprendre ce que je lui disais, et je crois qu’elle était désolée que j’eu à vivre tout ceci.

Ayant horreur de faire pitié, horreur de paraître faible, j’ai supporté et réglé moi-même tout ce qui m’arrivait. J’ai opté pour un style garçon avec ma coupe de cheveux, ma démarche, mes vêtements. J’ai pratiqué le foot, sous ma tenue d’école je portais toujours des baskets ou des tennis. Les hommes sont forts, il fallait donc que je ressemble à un homme. C’est ce que je me suis dit, on allait me voir différemment. Mes parents découvriront plus tard les actes ignobles de mon persécuteur, quand il a tenté la même chose sur ma sœur. Comme je n’étais plus là, il lui fallait une nouvelle victime. Ils étaient désolés et voulaient savoir réellement ce qu’il m’avait fait. Je leur ai dit qu’ aucune tentative n’a aboutie, heureusement. Je leur ai dit qu’ il n’osait pas aller plus loin ou user de la force. Vous n’allez pas croire ce qu’il a répondu quand on lui a demandé pourquoi il agissait ainsi ; j’étais stupéfaite quand j’ai entendu ses explications. Il a dit : « je crois que je suis somnambule car je ne suis pas conscient de ce que je fais à ces moments précis jusqu’à ce qu’on me réveille ». Merde, elle est bonne celle-là ! Somnambule ! Il se moque de notre intelligence dis donc ; je regrette de ne lui avoir pas laissé de cicatrice qu’il allait montrer à ses enfants. Tchiiips.

Mais bon, les choses ne sont pas alléesbien loin. Des réprimandes, car il ne faut pas exposer ce genre de choses… on règle ça en famille, et vu que rien de grave ne s’est passé, l’affaire était encore gérable. Je le déteste encore mais je pense rarement à ces choses-là. Cette étape de ma vie je n’y pense plus, je la refoule, je pense que je n’ai pas de séquelles.

Je crois que chaque parent doit être attentif et doit écouter la petite fille qui vit chez sous son toit, peu importe ses liens avec elle, familiaux ou amicaux. Une petite fille épanouie sera une femme accomplie. Prenez soin de vos filles. Ecoutez-les, aimez-les, chérissez-les et surtout observez-les. Observez les hommes qui rentrent dans vos vies et qui vivent chez vous.Observez leurs attitudes et habitudes avec les petites filles. Nous sommes arrivés à un stade de la vie où le cousin, le beau-père, le beau-frère, l’oncle ou encore l’ami peut avoir une influence sur vos enfants. Désolée mais les différentes situations exposées çà et là ont fait que nous sommes tous devenus parano. Notre culture nous enseigne l’hospitalité, la sociabilité et la solidarité mais l’attitude de nos hôtes fait que ces qualités disparaissent petit à petit pour laisser place à la méfiance.

Ma belle, ne te tais pas, parles et n’aies pas peur, il y a une oreille qui t’écoute.

Etes-vous conscient que, durant toute leur vie, les femmes sont confrontées à toutes ces choses ? Et si elles décident que cela doit se passer autrement, elle seront traitées de tous les noms…

Persécutées depuis leur enfance, elles ne connaîtront jamais une vie calme et paisible. Elle seront confrontées à des tas de difficultés que leurs semblables, les hommes, ne connaîtront pas.

Il leur faudra être fortes à tout moment et elles auront à se défendre pour tout et partout : cours familiale, école, lieu de travail, rue, véhicules en commun, et même dans leur propre foyer, et dans la vie en général…

Être femme comme le veut la société, c’est être comme le symbole des trois singes : fermer les yeux, fermer les oreilles et fermer la bouche.

Mais il est évident qu’on ne peut plus rester persécutées plus longtemps, a un moment donné il faut ouvrir les yeux, les oreilles et la bouche, il faut que cela cesse !

Il faut briser le silence pour sauver des vies.

Tchewôlô, femme noire, femme du monde parlons d’elles!

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Commentaires

Othniel CISSE
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Bravo et bonne continuation pour la suite de la lutte.

tchewolo
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Merci à toi également.

Cheikh-Tijane Bathily
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Bonsoir,
Le martyr (harcèlement, persécution, violence physique, verbale ou psychologique) dont souffrent nos soeurs n'est un mystère pour personne. Mais votre stratégie, quant à en venir à bout, me laisse quelque peu dubitatif. Dans des sociétés où, tardive, la mentalité traînent des pas, je ne suis pas bien sûr que se coiffer à la garçon ou taper au ballon puisse militer en faveur de votre cause. Et contrairement à ce que vous croyez "l'homme ne domine pas la femme par l'intermédiaire de la femme", mais parce que l'accord tacite de la société. C'est d'elle (et parfois de la religion dans certains pays) que l'homme tient sa toute puissance et n'en fait qu'à sa tête ! Toutes les femmes, y compris celles qui jouent le jeu, sont de pauvres victimes... Si vous comprenez pourquoi il est facile pour une fille d'être isolée dans un village, facile d'être rejetée par sa famille, vous comprendriez alors pourquoi certaines d'entre elles jouent le jeu, en riant certes, mais un rire bien jaune.
En somme, le problème est structurel. Aussi, toute stratégie ne saurait perdre cette réalité de vue. Je vous souhaite beaucoup de courage et de persévérance.
Bonsoir !

tchewolo
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Hello Cheikh, merci déjà pour l'intérêt. La stratégie de se mettre dans la peau d'un homme était tout simplement pour éviter qu'on la voit comme une fille faible et facile à manipuler. Elle était devenue l'amie des garçons. Elle avait peur d'affirmer sa féminité. Et lorsqu'elle utilise la citation de Winnie Mandela pour parler du manque de solidarité de la femme, elle dit pas que c'est la seule chose qui donne à l'homme le pouvoir sur la femme. Comme tu le dis si bien nous avons la société et nos coutumes africaines. On est à fond dans cette lutte et va y arriver.

Mawulolo
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Tchêwolo courage à toi...
Moi père de filles, mes sens sont en alerte même là où je ne suis pas. Et je me sens des fois tellement faible car ne pouvant être partout à la fois avec mes amours de filles et les garçons également.
Quand je ne suis pas avec eux, je m'en remets à Dieu mais j'essaie de leur parler...
Tu m'as touché

tchewolo
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Soit un père adorable pour tes filles et je sais que tu transmettras aussi ton amour à tes garçons et surtout l'attitude à adopter vis à vis des filles. Ecoute les et soit leur pote. Faudrait pas que tes filles aient peur de te parler. Dieu nous garde tous.